
Jeudi 31 mars 2011
BIVOUAC
De grandes perches de bois blanc dénudé, comme des mâts prêts à carguer leurs voiles, comme le bois des tentes des femmes Toubous, pour « la caravane des dattes », une traversée annuelle de 1500km, dangereuse et éprouvante dans le vent du désert.
Des balluchons de toutes formes (furoshiki, art d'envelopper les objets venu des temps anciens du japon) écharpes drapées, nouées, dans des bleus multiples, indéfinissables et universels, comme pour rassembler toute la terre et les hommes. Le bleu des turbans des peuples du désert brûlant ou bien encore ceux des rouleaux du grand océan ; le bleu fragile de Chine ou bien encore celui des darchoks tibétains, porteurs des prières emportées par le vent.
Ces balluchons enveloppent une précieuse cargaison, celle que l’on prépare, que l’on choisi pour toute nécessité, que l’on veut avec soi et non derrière soi, au cas où…….
Le bivouac est installé.
Elisabeth Querbes nous pose inlassablement la question de l’essentiel, de la précarité, voire de l’urgence; comment se déplacer, trouver un équilibre, avancer... Son œuvre propose plus qu’elle ne raconte, toujours en ouverture, en toute liberté pour le regardeur, chacun voyage avec son propre balluchon, à son rythme et choisi son mode de transport, physique et/ou mental.
Déroulée sur le sol, une longue installation, toile/voile bleue comme une oasis aux portes du désert, semble avoir retenu dans ses ondes, fleurs, objets, figurines, dessus ou entre deux eaux, comme des mirages, des rêves inassouvis, des désirs inavoués, des souvenirs confus. Une chaussure flotte juste en dessous de la surface, peut être celle du voyageur/artiste égaré.
Ce jardin se lit comme une introspection et une projection de l’être. Le bleu du doute, le trouble des vagues profondes, le vrai des fleurs fraîches qui s’oppose au faux de celles en plastique ou imprimées. Le concept de présentation/représentation questionne l’homme lui-même.
Les skateboards ou « Planches de voyage » utilisés dans certaines œuvres pourraient être la métaphore des naufragés d’aujourd’hui, des rejetés de la société, des « radeaux de la méduse » des temps modernes. Cependant, l’optimisme de l’artiste résiste : ici l’un d’entre eux s’arque comme un pont sur la grande pièce d’eau !...
« Bivouac » est une œuvre polymorphe, sculpturale et picturale dans ses composantes plastiques, une installation dans sa globalité qui flirte avec le Kitch et l’Arte Povera, et revisite même « les Nymphéas ».
E. Querbes récolte comme une jardinière, accumule puis assemble- « assembler des pièces, c’est mon médium, dit-elle » - pour reconstituer, comme l’on fait d’un puzzle/souvenir morcelé, un instant, une heure, un trajet de vie.
Elle recompose le paysage comme un jardin zen où l’idée de la montagne et du torrent est plus importante que la pierre et l’eau elles-mêmes : mirages, traces dans le vent ou dans les villes, parfum d’une rencontre…
Elle témoigne de son temps, de notre société, de l’homme, dans son travail d’artiste qui peut aussi, ré-enchanter le réel.
« Bivouac », une œuvre elliptique et profondément poétique, « écrite » comme un haïku, fugace, évanescent, traversant l’espace-temps de lointaines contrées qui pourraient bien se situer aux confins de nos êtres, le plus beau voyage qui nous soit offert par l’oeuvre d’une artiste.
Alice B. 2010